Pour un même métier, ces deux voies d’accès sont diamétralement opposées. Comment se différencient-elles ? Quels sont leurs atouts et leurs inconvénients ? Qui recruter ? Voici un aperçu de leurs programmes et des profils des étudiants.
Comment y entrer ?
La différence entre les deux cursus commence dès la sélection à l’entrée de Centrale Supélec et de l’école 42. Entre le concours formel post-prépa et la « piscine », c’est le jour et la nuit – les profils qui y prétendent sont donc aussi aux antipodes.
Pour entrer à Centrale, la voie royale est le concours post-prépa. Selon la filière dont est issu le candidat (MP, PC, PSI, PT, TSI), les modalités du concours sont différentes, mais l’enjeu est le même, seuls les plus brillants obtiendront le graal. Il est également possible d’intégrer l’école après une licence en sciences (mathématiques, physique ou mécanique), ou après un DUT en Génie Électrique et Informatique Industrielle ou en Mesures Physiques via un concours différent et adapté à ces cursus universitaires ou en IUT. Pour réussir ces concours, quelle que soit la filière d’origine, il faut être studieux.
L’entrée à 42 diffère totalement de celle à Centrale – pas de diplôme requis (même pas le baccalauréat), il suffit d’avoir plus de 18 ans pour être éligible. Ensuite, les candidats doivent passer des tests de logique et de mémoire en ligne qui donnent accès ou non à la « piscine ». Même si la sélection ne s’effectue pas sur les mêmes critères qu’à Centrale, elle n’en est pas moins drastique – seuls environ 10% des 3000 admissibles pourront rejoindre les bancs de l’école. Concrètement, la piscine c’est un mois de code intensif, à raison de 14 heures par jour, où les « nageurs » sont lâchés dans le grand bain sans consignes ou aides. Pour réussir les exercices donnés, il faut donc s’appuyer sur le savoir que l’on trouve en ligne et sur l’entraide entre futurs étudiants. Le concept de l’enseignement peer-to-peer est déjà en marche, de la résolution d’exercices à la correction de ceux-ci. En bref, la piscine est une immersion dans le monde de la programmation où il vaut mieux être insomniaque et débrouillard. « Le moment de vérité à 42 est la piscine. Là, ceux qui n’ont jamais eu à se débrouiller par eux-mêmes, à essuyer des échecs puis à recommencer et à trouver l’information à sa source, se noient. » me disait Olivier, anciennement 42 et développeur backend chez Doctrine.
Quels cursus suit-on ?
Centrale Supélec propose une formation assez générale de trois années où les étudiants apprennent à maîtriser la science et la technique, l’innovation et le leadership. Les étudiants qui choisissent de s’orienter vers le développement informatique pourront opter pour une année de césure atypique appelée la « Digital Tech Year ». Durant cette année, les étudiants pourront travailler sur des projets réels de grands groupes ou de start-up partenaires du programme. Sinon, la manière d’enseigner à Centrale a peu changé depuis sa création (1829) et reste assez traditionnelle – les cours sont obligatoires et les examens, qui ont lieu tout au long du cursus, sont corrigés de manière top down par un professeur.
À 42, l’enseignement est très différent de celui de Centrale. Il n’y a pas d’horaire de cours ni de professeur et les étudiants peuvent venir quand ils le souhaitent. Les projets réalisés sont corrigés en peer-to-peer, c’est-à-dire par d’autres étudiants. « Concernant l’apprentissage, on ne peut se restreindre à créditer l’absence de hiérarchie ou de tuteur comme seul accélérateur. Bien sûr, apprendre en groupe de pairs est plus rapide. Par contre il faut prendre en compte que, à 42, l’apprentissage se fait par projet, et on définit en premier lieu l’objectif à réaliser et ses contraintes. » explique Olivier.
Le cursus dure trois ans en théorie mais les étudiants sont encouragés à partir dès qu’ils sont prêts et qu’ils ont trouvé un emploi. Le diplôme n’étant pas reconnu par l’état, l’obtenir est donc facultatif et peu utile.
Frais de scolarité annuels :
Centrale Supélec : Les frais de scolarité de la première, deuxième et troisième année sont de 3500€ par an. La Digital Tech Year, coûte, quant à elle, 3500 € pour la première partie, 2200€ pour la deuxième et 2200€ également pour la troisième.
42 : L’enseignement est gratuit, l’étudiant doit seulement s’acquitter des droits de la sécurité sociale étudiante.
Culture d’élite vs. culture non conformiste
L’école Centrale Supélec, forte de ses 190 années d’ancienneté, possède une culture très ancrée dans son histoire. Depuis 2011, chaque promotion porte d’ailleurs le nom d’un illustre ancien élève, tel que Louis Blériot, Gustave Eiffel, Francis Bouygues…
Les profils des étudiants ne peuvent déroger à ce passé prestigieux – ils sont donc tous extrêmement brillants au niveau scolaire, ambitieux et très cartésiens. On constate également beaucoup de reproduction sociale dans ce système, rares sont les étudiants qui ne viennent pas d’un milieu aisé et intellectuel.
Ce conservatisme se traduit également dans l’habillement, où le costume cravate est encore souvent de rigueur, mais aussi dans la cohésion de groupe. L’esprit de corps est très présent avant et après les études sous forme de réseaux, ce qui entraîne des mécanismes de cooptation importants dans les grandes entreprises.
Malgré ce côté strict, l’école est aussi un lieu de vie riche où se mêlent esprit de fête et vie associative. « La vie à l’école Centrale Paris est très différente entre les trois années. Je dirais que les deux premières années sont une sorte de transition entre l’univers de la prépa, où tout est cadré, défini, normé et noté et celui de la vraie vie. D’abord, on décompresse en faisant beaucoup la fête. Puis, on comprend petit à petit ce que l’école cherche à nous enseigner. Cela passe beaucoup par la vie étudiante sur le campus et l’engagement dans des activités associatives. À partir de la 3ème année, le niveau de maturité a changé. Je pense que l’expérience internationale et l’entrée imminente sur le marché du travail jouent un grand rôle dans ce changement. Les élèves prennent plus au sérieux les cours et passent moins de temps sur le campus. » raconte Alexis, ancien étudiant à Centrale.
L’école 42, de son côté, cultive l’anticonformisme. La culture du hack est omniprésente et les étudiants ont pour modèles de référence les pirates informatiques.
La particularité de l’enseignement peer-to-peer créé également une culture informelle, ce qui se traduit aussi bien dans les rapports entre étudiants que dans leur style vestimentaire entre geek et cool.
Les profils très variés des étudiants, de l’ancien gendarme au docteur en philosophie en passant par le jeune sans aucun diplôme, participent également à cette culture très différente des écoles d’ingénieurs traditionnelles. « Le cosmopolitisme à 42 n’est pas une façade. En sortant de l’école, la discrimination du monde extérieur devient beaucoup plus palpable. Même si la parité reste l’objectif le plus difficile à atteindre, personne n’est écarté à cause de ses croyances, origines, ou ce qui s’est passé dans sa vie avant son arrivée à l’école. Le préjugé selon lequel des étudiants de caractéristiques socio-démographiques différentes ne pourraient pas travailler ensemble s’y révèle empiriquement faux. » explique Olivier.
Quels types de postes peut-on envisager à la sortie ? Et pour quels salaires ?
Les centraliens ont une progression de carrière plutôt conventionnelle, d’abord junior développeur, puis développeur confirmé et enfin senior développeur. Après cinq ans, on les retrouve pour beaucoup à des postes de management. Les anciens de l’école 42, en revanche, se dirigent principalement vers des postes d’experts techniques.
Côté salaire, les centraliens et les 42 sont plutôt égaux à la sortie d’école. Selon le classement 2018 par l’Usine Nouvelle, les centraliens ont un salaire moyen annuel brut de 43 000 euros un an après la sortie. Dès l’ouverture de l’école 42, une embauche assurée par le cabinet de recrutement Ametix avec un premier salaire annuel brut de 45 000 euros a été promise aux 1000 étudiants du premier cru. Selon les Echos Start, « Certains élèves se lancent dans l’entrepreneuriat, mais ce sont surtout des start-up, des entreprises de services numériques (les ESN, ex-SSII) et des grands groupes qui recrutent les « 42 » pour des salaires oscillant entre 35.000 et 40.000 euros brut annuels ».
Cinq ans après la sortie, en revanche, l’écart entre les centraliens et les 42 devrait se creuser à la faveur des centraliens qui occupent plus de postes de direction, même si aujourd’hui le peu d’ancienneté de 42 ne nous permet pas de donner les chiffres exacts (la première promo n’est sortie qu’en 2016).
Qui recruter ?
Les anciens de Centrale Supélec progressent vite et sont polyvalents. Ce sont de vrais couteaux Suisse formés à l’apprentissage rapide et à la résolution de problèmes complexes. Leur niveau en informatique à la sortie de l’école est toutefois plus faible que pour ceux de 42 dont la formation est très spécialisée. Une question est donc de savoir si vous disposez du temps nécessaire à la formation d’un nouveau collaborateur issu de grande école.
Si votre produit ou service nécessite des connaissances scientifiques ou un niveau élevé en mathématiques, les diplômés de Centrale Supélec sont généralement beaucoup plus à l’aise que les anciens de 42. Beaucoup d’étudiants de 42 n’ont pas passé un Bac S tandis que les centraliens y ont obtenus 17,5 en moyenne.
Enfin, sur les aspects culturels, les populations sortant de Centrale Supélec sont naturellement plus homogènes que celles sortant de 42. Dis autrement, avec Centrale Supélec, il n’y a pas de surprise, ce sont les ingénieurs à la française. Côté 42, à l’inverse, l’esprit de corps est moins présent et les différences culturelles beaucoup plus marquées.